Marcel LEBOURGEOIS – Disparition d’une légende
L'homme qui avait acheté Magali, un tout petit prix, à la base avec Danaé de d'Helby,Chanu, Cheux, Girl, et autres Kreisker, Batilly ou Kerglenn, est décédé hier dans sa 99ème année. A l'occasion d'une étude sur les élevages d'Yves Langelier et Jean-Luc Lebourgeois, j'avais eu le privilège de passer un moment avec lui. Sa disparition mérite de relire son épopée. Elle reflète toute l'histoire du cheval de sport en Normandie de ces 50 dernières années.
L’enfant turbulent, espiègle né en 1924, troisième d’une fratrie de sept, n’avait pas perdu à 97 ans qu’il venait de fêter le 11 janvier, sa vivacité d’esprit qui donne toute son ampleur à l’immensité de ses souvenirs, pas davantage que son tempérament taquin toujours pointé d’humour et surtout de bienveillance qu’il revendique. Il tait, avec la sagesse crépusculaire, son intrépidité juvénile qui vaut, pour ses proches, de rappeler certaines anecdotes telle cette course de village, disputée à la Lucerne d’Outremer où il prit la place du jockey qui venait de tomber pour aller décrocher la victoire.
Né à La Haye Pesnel où ses parents vivaient sur une petite exploitation, il émigre jeune au Tanu pour vivre dans des conditions modestes propres aux petits paysans. Une vie aux antipodes de ces années parisiennes dites « folles » et de la grande dépression de 1929 qui amènent Marcel Lebourgeois, tout en mesurant la gravité, à relativiser les difficultés de cette période Covid. D’autant qu’à une vie rude vinrent s’ajouter les tumultes des années 30 et 5 années de guerre.
C’est à la Libération que le jeune Marcel alors âgé de 22 ans entame sa vie professionnelle. L’amour du commerce et des beaux animaux se révèle : « Je crois me souvenir avoir commencé avec une pouliche. Je m’arrange de prix avec le vendeur mais le seul petit problème c’est que je n’avais pas d’argent pour la payer. J’avais tout juste quelques petites économies. De l’argent de poche quoi ! Mon père ne voulait pas me prêter, il ne voulait surtout pas que je fasse ce métier qu’il considérait un peu comme malhonnête. C’est mon oncle Emile, le grand-père de Jean-Luc Lebourgeois qui m’a aidé. La bête valait 10.000 francs. Je l’ai revendue 18.000 huit jours plus tard à la foire de Gavray. C’était parti ! » clame Marcel en précisant « J’aimais les belles bêtes, des amouillantes bien toilettées. Je faisais mon profit, mais je ne voulais pas estamper les gens. J’aimais bien les bêtes du Nord de la Manche. Elles étaient saines. A cette époque le marché était bon. Les cours s’envolaient par moment. » Marcel fonde une famille et s’installe à Saint-Sauveur la Pommeraye « C’est en causant avec Clovis Pottier que je lui demandé de me trouver une jument même accidentée, avec des bons papiers pour faire de l’élevage. Il m’a emmené chez Jules Houllegatte à Fermanville. J’ai acheté Magali, à peine plus cher que le prix de la boucherie. Elle ne prenait pas. Je l’ai emmenée au Mioche (NDLR : Etalon Le Mioche PS) et après j’ai eu de la chance. Le père de Jean-Luc m’avait dit si tu ne l’achète pas, elle est pour moi. Quand elle est morte j’ai gardé Danaé. C’était une jument pas finie, un peu décousue, loin dans les jarrets, ça c’était Starter. Un très beau cheval mais des jarrets pas solides. Corilys et fend l’Air avaient les mêmes soucis. Enfin ! ça a pas trop mal marché. A la retraite, je l’ai vendue à Gérard Esnault au Haras de la Gisloterie. ». C’est là que s’est arrêtée la carrière d’éleveur de cheval de sport pour Marcel Lebourgeois qui avec un effectif ô combien réduit a donné à l’élevage normand et manchois en particulier un élan d’excellence qu’il conserve et vulgarise.
Après avoir eu des installations à Beauchamps, Marcel Lebourgeois acquiert une maison à la Hautmonière aux portes de Villedieu les Pôeles sur la route de Gavray. Sans doute tenaillé par cette attirance naturelle vers les animaux comme vers les gens ; Marcel est en effet réputé pour aimer les gens, il achète une poulinière trotteuse. Une autre « très » bvelle histoire à découvrir dans la seconde partie de notre reportage.
Au tout début était Son Altesse
C’est à Fermanville, une commune du Val de Saire que Jules Houlegatte, exploitant agricole, qui fut maire de la commune de 1971 à 1977, fit naître en 1940, Son Altesse après avoir acquis sa mère Naïve (Foukoui DS) et Vas Y Donc demi sang également. Son premier produit Irlanda (Rolleville) en 1952 n’a rien laissé de significatif. En revanche, KAVALA- LIBELLULE L et MAGALI justifient à elles seules l’appellation royale de leur mère. Ainsi : Kavala (Ecossais) a bâti les Thurin de Jean Pottier sans compter, à partir de cette souche, les First de Launay, Hastings etc.. Libellule L (Foudroyant II PS)), la souche de Jean Fleury puis celle de Pierre et Jeanne Mouchel avec les fameuses Etoupe II et Magali (Fra Diavolo PS) avant de faire la carrière que l’on sait chez Marcel Lebourgeois a produit 4 femelles par Débuché dont Valseuse mère de Janita (Starter) souche basse des Brekka et La Rirette (Fair Play III) souche de grands Gesmeray.
Michel Houlegatte, le fils de Jules, dit, sans regret particulier, ne pas avoir perpétué l’élevage familial au motif qu’il avait été influencé par la déception que manifestait son père de ne pas avoir récolté le fruit de son travail. La réussite de Magali, Libellule et Kavala vaut reconnaissance posthume.
MAGALI - 13 produits
C’est en 1967 que naît BELLE AMIE (Le Mioche PS). Vendue à Albert Lebrun, elle aura une production confidentielle. L’année suivante c’est au tour de COROLYS, une fille de Starter qui fera les beaux jours de l’affixe de Cheux, chèr à Marc Houssin, l’ami. En effet, avant de devenir le bras droit du Baron de Vains, Marc débuta sa carrière professionnelle chez Marcel Lebourgeois. On note en particulier Nelson de Cheux (Largny) ISO142 et surtout Trésor de Cheux (Grand Veneur), étalon privé avec 462 produits enregistrés. En 1969, c’est au tour de DANAE (Starter) qui fait l’objet d’une étude particulière. FEND L’AIR (Amour du Bois) vendu à 6 mois à Charles Vauvrecy sera labellisé HN avec 334 poulains à son actif. HARDIE PETITE, une autre jument par Starter sera acquise par Pierre Mancel, le beau-père de Jacky Boudant sous l’affixe de la Hurie, à l’exception de Theurtevillais (Benroy PS) ISO 151 en 1995. IRATUS MAGALI (Amour du Bois) ISO147 en 1983 avec Marc Houssin.
KALINKA GIRLS (Amour du Bois), sera à l’origine de deux femelles pour Jacky Boudant. O Magalie (Uriel), mise à la reproduction ira, après avoir avec sa fille Astrée des Grés (Elf III) donné de la notoriété à l’élevage des Grez dans l’Eure en particulier avec Iris des Grez (Quidam de Revel) et Khan des Grez (Cabdulla du Tillard), grossir l’effectif du Haras de Couvains avec Nuit de Rêve Semilly ( Cumano) mère en particulier de l’étalon Boom Boom Semilly ( Ogano Sitte).
Mais, c’est bien sûr Présidentielle (Elf II) qui retient l’attention. Elle sera la clé de voûte de l’élevage Boudant. On se souvient d’abord de Candidat II, Dollars Boy,Fidjie Girl et Happie Girls, quatre Quidam de Revel, respectivement ISO 153, 160,157 et 146, qui ont marqué le début de carrière de François-Xavier.
Happie Girls a produit Uranus Boy (Querlibet Hero) et Van Goth des Besnards, un intéressant fils, de son «cousin» Quartz du Chanu ISO 149 aujourd’hui sous la selle des Argentins Larocca père et fils. Ogunette Girl (Gun du Mesnil Dan) le 7ème produit de Présidentielle est la mère de Stella Light (Kannan), Elite à 6 ans avec FX. Boudant, ISO 157.
Des deux derniers produits de Magali on retient que Labrador d’Avril (Sirocco FII) a foulé les pistes de Fontainebleau à 5 et 6 ans alors que Nagali (Diaghilev PS) a rejoint les écuries d’Henriette Evain où elle a produit avec sa fille Bilitis for Ever (Almé), Nardento du Moulin (Cardento) ISO 140, avec Calypso for Ever (Galoubet A), Kedehop de Brêve (Cruising) ISO 152, avec Girondine II (Jalisco B), une série de 3 Batilly : Kismy (Cabdulla du Tillard), Lucky (Le Tot de Semilly) et surtout Loops (Concorde) ISO 165 avec Julien Epaillard en particulier. On mentionnera enfin l’étalon Hatchoum (Voltaire) qui n’a pas laissé une grande descendance.
DANAE – 12 produits
C’est HILDA DU MESNIL qui ouvre le bal en 1973. Danae a 4 ans. Fille d’Amarpour, elle intègre l’élevage de Paul Lesoimier à Amigny. De là nait en 1978, Marly du Mesnil (Fair Play III) qui sera indicé 161 en 1989. Sa sœur Nola du Mesnil n’a rien laissé de mémorable, pas davantage que Prince du Mesnil (Grand Veneur).
En revanche, Reine du Mesnil II (Le Plantero) qui n’a jamais fait de compétition sera la génitrice de 16 chevaux dont la célèbre Baladine du Mesnil (Le Sartillais), ISO 181 en 2002 avec Xavier Caumont et Olivier Guillon. Danae du Mesnil (Papyrus de Chivré) sera la base d’une souche du Chanu chez Yves et Brigitte Langelier. Gazelle du Mesnil II (Arpège Pierreville) a fait souche à l’élevage des Nauves d’Etienne Piollon à Belvès (24). Kiss me des Nauves (Chenu du Plessis), ISO 165 en 2005 avec Olivier Guillon. Onestar du Mesnil (Diamant de Semilly) ISO 160 en 2012 est indissociable de la carrière d’Aymeric de Ponnat. Tango du Mesnil (Diamant de Semilly) un hongre de 14 ans est son dernier produit. ILIADE (Sirocco II F) a produit à l’élevage de Cheux. JABAD ( Surioso de Ver) vendu à Charles Vauvrecy a été l’un des piliers du HN de Blois. NIKA DU NEVADA (Ecuyer I) est la mère de Briseis d’Helby (Laudanum) de l’élevage Lamotte de Rennes, laquelle Briseis est, s’il fallait n’en citer que deux, la mère de Quickly de Kreisker (Diamant de Semilly) ISO 183 en 2015 avec le Marocain Kebir Ouaddar et Javelot d’Helby (Vas Y Donc Longane) ISO 173 avec Florian Angot. OCARINETTA (Ecuyer I) après d’Helby a produit des Biches. SEX APPEAL II (Pot d’Or PS) elle aussi d’abord d’Helby puis des Ibis.
Vendue à Gérard Esnault au Haras de la Gisloterie, Danae produit TRAMONTANE (Galant de la Cour) qui ira essaimer de bons Sebioune chez Marie Meynieux au Dorat (87). UTOPIA DU ROIHINET (Laudanum) fera monter en puissance les Fraigneau à Saint Cyr du Doret (17) et plus particulièrement Kiwi du Fraigneau, ISO 173 avec Eric Navet. Enfin BETTY DE KREISKER sous le nom de Guillaume Ansquer à Plozevet (29) a fait résonner le nom de Jumpy de Kreisker (Quito de Baussy), ISO 164 en 2004 avec Jean Le Monze. Quito de Kerglenn (Diamant de Semilly) né chez Alain Richard au Conquet (29), fils de Jumpy est indicé 164 en 2014 avec Gilbert Doerr. N’omettons pas de citer aussi Shana de Kerglenn, sa sœur, ISO 153 avec Philippe Leoni.
LE TROT
Après sa carrière dans le cheval de sport, à 60 ans, Marcel écrivit une autre belle page dans le trot
Marcel est donc arrivé à Villedieu les Poêles. La page cheval de sport est tournée. La retraite a sonné ou presque :« En passant sur la route, j’ai vu une belle jument dans un champ. Elle était fière, avec du sang. Elle était à Roger François. Il me l’a vendue et c’est parti là aussi avec un peu de chance. »
Nitroglycérine : Une explosion de chance !
Nitroglycérine est mise à l’élevage. Va Petit Mousse, son premier produit confié à Joël Hallais gagne 4 courses. Treize d’Aumonière ou Hautmonière suivront « J’en vendais deux au père de Jean-Michel Bazire » s’amuse avec fierté Marcel. Ils se distingueront particulièrement. Gai d’Hautmonière (Nicos du Vivier) étalon a gagné près de 300.000€ avec pour palmarès :3 Groupes II à Vincennes à 1 mois d’intervalle en 1999, le Jockey, le Louis Jariel et le Albert Demarcq drivé par JM Bazire et cela devant un certain Général du Pommeau. Hélas ! Fin août il s’inclinait devant le Général dans le Critérium des 5 ans en prenant la 6ème place. Au haras, il a 88 produits enregistrés dont Qualie d’Any ,359.000€, Jean-Michel Bazire avec 3 Groupes II (Reine du Corta, Ozo et Masina) (Photo) et Otika Vita, 175.00€ et JMB.
Mélie d’Haumonière (Tenor de Baune) riche de 105.000€ a produit chez le sorcier sarthois 7 Seven dont Brennus (Scipion du Goutier) 168.000€. Dans la fratrie Aumonière, il convient aussi de citer Fanfan d’Aumonière (Nicos du Vivier) riche de plus de 200.000€ sous la protection de Jean-François Popot.
Avec Rêve des Vallées le paradis
Anais Clairchamp est une fille de Képi Vert née en 1988. Elle a gagné 68.000€ sous la férule de Marcel Cherruau. En 2004, pour le compte d’Antoinette Quintana, elle a déjà 8 produits. Marcel Garnier, un Sourdin comme Marcel Lebourgeois raconte « On a vu une poulinière à vendre sur Provinces Courses. Marcel est un ami, on est allé la chercher ensemble et on l’a achetée par moitié. Elle est morte 1 mois et demi après le poulinage. Rêve des vallées a été élevé au seau. On l’a vendu à 18 mois, 35.000€ aux ventes de Deauville. » (NDLR : Manuel Garcia acheteur de Rêve des Vallées (Kiwi) fut aussi le naisseur de la mère de Bahia Quesnot).
Rêve fut confié à Franck Leblanc. A l’exception de ses deux premières courses au sulky, il fera toute sa carrière sous la selle avec Frank Nivard. Et quelle carrière. Il gagne le Prix de Vincennes (GR1), deux Groupes II (Camille de Waizières et Edouard Marcillac) et termine 2ème du Prix des Centaures (Gr1), du Prix des Elites (GR1) pour plus de 500.000 Euros de gains. Au haras il a 218 produits enregistrés dont les 7 derniers pour son nouveau propriétaire ukrainien. Bernard Lebourgeois, frère cadet de Marcel âgé de 95 ans, de la Haye Pesnel, a connu le succès dans le monde du trot sous l’affixe du Vivrot.
Le voyage de Marcel Lebourgeois au cœur de l’élevage normand a laissé des traces qu’il suffit de suivre avec le même enthousiasme et le même sens de l’esthétisme. Ceux qui subliment la performance.